Swimming—Square Dance: exposition des diplômaes ENSBA Lyon
exhibition
Swimming—Square Dance
Palais Bondy
5 nov — 30 nov 2024
« Swimming—Square Dance ». Tels sont les mots écrits sur une page du journal d’Eva Hesse lorsqu'elle était étudiante à l'école d'art d'Oberlin en 1955. Sur la page opposée, elle écrit : « Cette semaine, j'ai eu envie de quitter l'école d'art […] ». Lus en vis à vis, on ne peut s'empêcher d'établir un lien entre les deux. Notre titre « Swimming—Square Dance » est donc à comprendre ici comme métaphore de ce que peut être l'expérience vécue dans une école d'art. Lorsque nous nageons, nous sommes seulxes avec notre souffle, nos gestes, nos pensées ; alors que quand nous dansons la danse carrée*, nous le faisons à plusieurs dans des mouvements chorégraphiés, contenus par des marquages au sol. Dans les écoles d'art, il y a une oscillation similaire entre être seulxe face à sa pratique et entouræ par d'autres dans un mouvement rythmé qui dépend de l'harmonie du groupe. Lorsque j'ai rencontré cette promotion – qui a traversé ensemble cinq années marquées par des crises mondiales et nationales successives – nos discussions ont porté sur cette oscillation, sur la complexité de la formation des artistes, le balancement entre l’autonomie et la contrainte, et comment naviguer à travers tout cela grâce à l’entraide. Leur mobilisation, qui a donné lieu à l'organisation de cette exposition, en est la preuve.
Pour celleux qui l'ignorent, vous vous demandez peut-être ce que nous entendons par « mobilisation ». Historiquement, à l'Ensba Lyon, la fin du cursus des étudiantxes est marquée par différentes remises de prix, offrant des opportunités à seulement quelques jeunes diplômæs. Bien que celles-ci soient enrichissantes pour les lauréatxes, un moment de compétition pour clore des années de travail collectif ne semblait plus, pour cette promotion, en adéquation avec sa façon de se construire. Et à juste titre. Ces dernières années, alors que les artistes luttent de plus en plus pour leurs droits et une rémunération juste, le monde de l’art a vu des artistes partager des prix – le prix Jeune Création Auvergne-Rhône-Alpes en 2019, le Turner Prize la même année, ou encore le Prix Ricard cette année, pour n'en citer que quelques-uns – comme un moyen de renforcer l’esprit collectif dans un milieu souvent violent et difficile à naviguer.
L'idée d'une exposition collective a été évoquée et proposée à l'école, donnant naissance à la création de l'association Æ, dont l'objectif est de pérenniser cet événement pour les années à venir et de créer un réseau d'alumni. Cela a nécessité une longue recherche de financements, une levée de fonds en ligne, l’ouverture d’un compte bancaire, l’invitation qui m'a été faite d'accompagner les artistes dans la mise en place de l'exposition, diverses réunions et groupes WhatsApp, des négociations, une vente de gâteaux, un certain nombre d’obstacles, mais surtout un engagement constant pour assurer la réalisation du projet.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est le fruit d’un travail de longue haleine ; un aboutissement certes, mais aussi un événement marqué par un essoufflement collectif dû aux tentatives d’habiter un espace négatif – qu’il s’agisse de la négativité du monde à plus grande échelle, ou simplement ici d’habiter un espace dont on ne peut toucher les murs. Les trente participantxes et moi-même nous sommes rencontræs pour la première fois sur les marches du Palais Bondy, au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, dans une ambiance où tout le monde retenait son souffle. Nos conversations ont naturellement conduit au besoin de se retrouver pour respirer, pour traverser le chaos en se serrant les coudes. Je leur ai partagé la citation suivante :
« Pour respirer en effet il faut de l’air, mais il faut surtout une qualité de liens, de paysages, d’avenirs, beaucoup d’autres personnes avec qui respirer, en qui espérer, et qui puissent se respirer en vous. Tout un monde en vérité. Car respirer n’est pas seulement maintenir son souffle, nourrir son organisme comme s’il vivait d’une petite vie séparée. C’est participer à ce qui existe et de ce qui existe [...]. Prendre part au vivre tout entier donc y contribuer. Mieux (ou pire), s’y compromettre dans un échange qui tient serrés les fils nouant les corps à l’état réel des milieux de vie. La respiration, c’est le contraire exact, et suffisant, de la séparation ».
L'exposition comble les lacunes entre les mouvements d'une nage solitaire et la chorégraphie d'une danse collective à travers une respiration rythmée, énergique et engagée. Et bien que la recherche d'une thématique commune puisse sembler difficile dans une exposition de diplômæs, l'engagement de chaque pratique, profondément ancrée dans les questions et problématiques sociales actuelles, est indéniable.
La visite de l'exposition débute dès la cage d'escalier, où l'on découvre un murmure familier : un bourdonnement indistinct, une pause, une répétition, un balbutiement, un rire partagé, le gazouillis des oiseaux, un chant apaisant. C'est le bruit d'un seuil. Cette pièce sonore, Les Lanceureuses (2024), est une œuvre de Giu Ferro, qui développe une pratique autour des dynamiques collectives à travers le son, les mots et le dessin. Capturant des moments fugaces, Giu nous invite à une réflexion poétique sur la manière de faire corps ensemble.
Audre Lorde écrivait : « La poésie n’est pas que rêve et vision ; elle est le squelette architectural de nos existences. Elle pose les fondations des changements futurs, elle jette un pont par-dessus notre peur de l’inconnu ». La poésie doit ainsi être considérée comme l'une des architectures squelettiques qui structurent cette exposition, tout comme la scénographie imaginée par Lyse Bellon, Luisa Bissoni, Blanche Blouin, Athanasia Vovou et Lucille Rochat, diplômées de l'option Design d'espace. Transformant une contrainte en opportunité, le groupe a travaillé collectivement pour rassurer chaque participantxe sur la faisabilité de l'exposition, avec une force de proposition impressionnante.
Elles ont également démontré leur capacité à osciller entre travail collectif et pratiques individuelles, puisque certaines d'entre elles exposent leurs propres œuvres. Dans le couloir séparant les deux salles d'exposition, on découvre Les Bâtons de Parole de Lyse Bellon. Cette œuvre consiste en une série de bâtons trouvés dans la rue lors de diverses déambulations, puis gravés de phrases comme « passage vers l'imaginaire ». L'intention est de les redéposer dans la ville, devenant ainsi des guides insaisissables pour les prochaines personnes qui les trouveront. Ici, ces bâtons nous orientent vers d'autres imaginaires, dialoguant avec les œuvres environnantes.
Plus loin, Blanche Blouin nous ramène dans l’espace public avec ses recherches sur la sous-représentation des femmes, allant au-delà des figures allégoriques. Dans ses séries Le 2 juin 1975 et Femmes d’usine, femmes de fer, Blanche rend hommage aux travailleuses du sexe et aux ouvrières Ovalistes, souvent oubliées par l’histoire. À travers des matériaux comme des miroirs et du béton, elle donne forme aux voix et histoires de ces femmes, révélant leur silence persistant tout en les plaçant au cœur d’une réflexion sur la mémoire collective et la reconnaissance.
Xiaoming Ren nous balade elle aussi à travers des souvenirs oubliés des paysages urbains, ceux qui sont en déclin. Dans La Prospérité illusoire, une installation composée par des maquettes et une vidéo activée par l’artiste pendant une performance, Xiaoming pointe du doigt l'absurdité des mots abstraits de réforme politique et de recherche de développement qui dissimulent néanmoins des villes qui n'existent plus. S'effaçant avec elles, les mémoires collectives des habitantxes.
Quant à Athanasia Vovou, elle nous ramène à la respiration et à la notion d’espace vivant. Son installation s’anime à travers des phénomènes imperceptibles : une rafale de vent, un mouvement soudain, un soupir presque inaudible. Ces éléments subtils interagissent avec l’espace et génèrent des périodes de latence, invitant les spectateurxices à ralentir leur perception pour saisir ces instants fragiles. Athanasia active ainsi des forces matérielles et élémentaires, créant des zones de tension.
Ces tensions et oscillations résonnent à travers tout l’espace – dans les œuvres, les dialogues qu’elles entretiennent, et jusqu’à l’architecture elle-même. La scénographie a permis de créer des espaces distincts, et plusieurs installations d’éléments architecturaux se présentent comme des fenêtres ouvertes sur d'autres univers, parfois oppressants. Crash-resilient, une installation de Margot Garlenc, explore l’idée du « grand » jeu de l’économie intégré dans un « petit » jeu de société, symbolisé par un paravent portant la phrase « I would prefer not to" de Bartleby. Un cadran figé à 17h30, heure de fermeture de la bourse de Paris, et un épi de blé évoquent l’origine du marché financier. Des étiquettes décrivent les règles du jeu, soulignant l'inégalité d’accès aux mécanismes économiques.
Rebecca Guillet se moque des mécanismes du pouvoir intrinsèque à la vie quotidienne à travers des performances et des vidéos. Utilisant l’humour comme outil de détournement, elle évoque des situations absurdes, presque irréelles, qui finissent par dévoiler des inégalités économiques et politiques. Rappelant les influenceurxses qui présentent leurs routines de soins absurdes (et sponsorisées), Rebecca embellit l'emballage des produits qu'elle consomme, compare sa peau à de l'asphalte et compose un sandwich sur sa jambe pour exposer le lien tordu entre les économies néolibérales et notre manière de prendre soin de nos corps.
Win Yi Ng présente Étudions notre pays, nos histoires, une installation composée de meubles pour enfants ornés d’images et de textes (en anglais, malais, tamoul et chinois) évoquant les restrictions de vote en Malaisie en 1959. Certaines de ces langues, effacées par le gouvernement et plus enseignées à l’école, sont ici réintroduites sur un mobilier écolier dans un récit alternatif. La pratique de Win Yi explore l’identité à travers les histoires coloniales et la réappropriation de son histoire personnelle via le langage.
La narration et la fiction spéculative sont utilisées par plusieurs artistes présentxes comme un moyen de critiquer et de dénoncer les mécanismes de pouvoir qui régissent notre société. Philip K. Dick écrit : « Nous devons nous contenter du mystère, de l'absurdité, des contradictions, de l'hostilité, mais aussi de la générosité que nous offre notre environnement ». C'est donc par une extraction des mystères et des absurdités de notre environnement que certainxes de ces artistes opèrent.
À travers des installations et des films, Mateo Henot conçoit la science-fiction comme un mode de pensée dans laquelle la science et la technologie participent activement à la construction de la réalité humaine et sociale. Dans son installation Sol turns off the television — un titre tiré du script de Soylent Green, au moment où le personnage Sol Roth éteint la télévision pendant le discours du gouverneur —, le protagoniste du film devient le point de départ pour une expérience hypothétique de son histoire. Imaginée comme une extension du script, Sol turns off the television se déploie à travers une micro-médiathèque qui aborde les questions de médias contestataires à travers des récits personnels, des archives et des thèses récupérés.
Les mondes spéculatifs créés par Ambre Kopac prennent la forme d’êtres hybrides qui émergent à la frontière entre réel et imaginaire. À travers ses alter-egos – historienne, journaliste ou scientifique – elle façonne des univers où fiction et données scientifiques s'entremêlent. Dans les œuvres présentées, des céramiques en forme de créatures hybrides se multiplient, jusqu'à apparaître dans une toile où elles frôlent le visage d’une personne. Ces formes amplifient la réflexion de l'artiste, qui utilise les arcanes de la science pour élaborer ses propres recherches et conclusions sur ce qui pourrait perdurer.
yuna feuillatre explore la présence du minéral dans le matériel informatique et les espaces virtuels. Imaginée comme un circuit imprimé géant, l’installation au milieu, le signal a changé, rassemble un ensemble d'objets – des faux rochers, des faux câbles, un faux écran – formant une hyperbole des présences minérales dans l’électronique. yuna y traite le mica – un minéral pailleté présent dans ses sculptures et dans les sols – comme une forme d'ordinateur, un média géologique.
Romane Laurensot crée, elle aussi, des ponts entre des mondes physiques et immatériels, mais dans un univers plastique onirique. Inspirée par des méthodes de représentations médiévales, Romane explore des thématiques mêlant ornithologie, magie, merveilleux et mysticisme, en lien avec sa relation à la spiritualité. Ses œuvres évoquent l'archétype de la guérisseuse et les rapports entre la dimension terrestre et le divin.
Une autre dimension de cette exposition réside dans le texte et l'édition, avec la présentation des travaux des diplômées de l’option design graphique, dernière promotion de Master avant la fermeture regrettable du programme cette année. Pour son projet d’édition Bodycopy (qui signifie "corps de texte" en anglais), Leyre Léon Álvarez a invité des artistes et des designers à explorer la question du corps dans la répétition, ou de la répétition par le corps, à travers des contributions liées à leur pratique. À l’image de l’exposition qui oscille entre contrainte et autonomie, entre travail individuel et collectif, l’objet éditorial de Leyre incarne ces mêmes tensions : il impose des contraintes techniques de production (comme la reliure) tout en tissant des récits personnels d'autres voix.
L'oralité, en tant que moyen de résistance et de mise en lumière des voix marginalisées ou oubliées, a également émergé comme un thème central dans de nombreuses discussions préparatoires à l'exposition.
Pour Raghd Ba Kermoom, le travail des mots et de la performance reflète une approche « avec peu de moyens, mais beaucoup d'engagement ». Ici, elle présente une couette brodée avec des cheveux, intitulée الشِعرُ بالشَعرِ (ou des cheveux pour des cheveux). Sur cette pièce recto-verso, elle retranscrit des poèmes de sa mère en arabe, traduits en français, qui n’avaient auparavant existé qu’à l’oral. Comme une tresse, l’entrelacement des cheveux de l’artiste avec les mots de sa mère tisse une réflexion sur la relation entre corps physique et corps social, tout en soulignant les lacunes culturelles et linguistiques.
La transmission des voix est au cœur du travail de Tatiana Graziana (Dumeau). Dans sa performance Les femnas del pel pueg, elle associe chant occitan et musique au synthétiseur, en s'inspirant du texte Lascia che il mare entri de l'écrivaine révolutionnaire Barbara Balzerani. En explorant la transmission des récits de révolte au sein d'une famille prolétaire du sud de l'Italie, Tatiana revisite ces histoires en leur apportant une dimension musicale, créant ainsi un dialogue entre la mémoire collective de la résistance et les sonorités contemporaines.
Les luttes se retrouvent également transcrites dans le travail éditorial de Manon Forax. En apprenant la regrettable nouvelle de la fermeture du master de design graphique alors qu'elle achevait sa formation dans ce même programme, son projet s'est transformé en une édition retraçant les combats menés contre cette décision. Le toner est vide, un objet éditorial accompagné d’une pièce sonore, rend visibles ces luttes dans un contexte où la précarisation des écoles d’art devient de plus en plus palpable.
Le travail d’Émilie Launay fait résonner des voix plurielles : proches ou lointaines, poétiques ou procédurales, inspirantes ou écrasantes. Pour E va sparata Boom !, elle incruste ces mêmes mots — que l’on pourrait traduire par « Qui va faire un carton » — dans le mur. Inspirée de la poétesse et performeuse italienne Tomaso Binga, qui utilise la métaphore du papier pour évoquer l'invisibilisation des femmes artistes dans les années 70, Émilie donne une résonance visuelle et physique à cette réflexion sur la marginalisation. Plus loin, d’autres mots se trouvent découpés dans des boîtes administratives, des mots liés à une enquête menée par l’artiste sur l’archivage des signalements dans l’école (Qu’est ce que ca fait faire ?).
En découvrant les pratiques des artistes présentxes, une citation de Susan Sontag me vient à l'esprit :
« La compassion est une émotion instable. Elle doit être traduite en action, sinon elle s'étiole. La question est de savoir quoi faire des sentiments éveillés et des connaissances transmises. Si l'on ressent qu'il n'y a rien que "nous" puissions faire — mais qui est ce "nous" ? — et rien qu'"iels" puissent faire non plus — et qui sont "iels" ? — alors on commence à s'ennuyer, devenir cynique, voire apathique ».
Ainsi, je perçois les actions, gestes et pratiques des artistes exposæs ici, qui rendent visibles les luttes et les invisibles, comme une réponse à l'instabilité de la compassion.
Dans sa pratique picturale, Lou Berthevas nous emmène dans un voyage à travers l'expérience humaine – l'amour, le désir, la douleur, le chagrin, l'angoisse, et ainsi de suite. Interrogeant les mécanismes du pouvoir et les violences liées aux discriminations de genre, Lou Berthevas (dé)peint des scènes qui laissent planer le doute, des moments de trouble et de basculement, de chute. Et si les ténèbres semblent se glisser dans l'ombre (Le Costume) ou se tapir à la fenêtre (La Chute), sa quête picturale est de redonner du pouvoir aux dominæs en renversant les jeux de pouvoir.
Ce renversement et ce changement d’échelle se manifestent également dans le travail de Sordna-Rémy Neves. S'inspirant des réflexions de l'artiste Renate Lorenz sur la réappropriation de la « monstruosité » — autrefois utilisée dans les freak shows comme un outil de domination, mais subvertie par les personnes marginalisées — Sordna explore la figure du monstre à travers une lentille parfois pornographique, les rendant à la fois désirantxes et désirables. L'ambiguïté prend ainsi toute sa force dans l'acte apparemment paradoxal de dresser des « murs » monstrueux sur des tissus fluides qui se déploient dans l'espace.
Dans l'œuvre de Sordna, le corps s'étend, tandis qu'il s'efface dans la pratique de Sofya Zamanskaya, laissant place à une expérience purement sensorielle. Ses deux pièces, the sound of broken glass under your feet as you walk through the mess et ...and every surface is an eye staring back to you, en témoignent. La première, une sculpture de cloches suspendues, interroge l'absence du corps dans l'interaction avec les grands modèles de langage (LLM) et explore l'idée de voix perdues. La seconde, une vidéo avec un montage d’images génériques des newsrooms avec une voix off générée par IA, prolonge cette réflexion sur l'ambiguïté entre corps, texte, espace et temps, illustrant la prise de pouvoir du numérique sur le physique.
Le corps physique réapparaît brièvement dans le travail de Charlotte Vignes avant de s'éclipser à nouveau. À travers sa pratique de la photographie argentique, elle réalise des performances pour l'appareil, s'inscrivant dans le processus même de création tout en construisant un cadre critique autour d'une histoire située de la photographie. L'œuvre présentée ici agit comme un autoportrait spectral, vidé de toute présence corporelle. Cette image porte les traces de l'artiste – son nom, ses coordonnées – questionnant ainsi la matérialité de l'image et, par extension, celle du corps.
Maïa Cochet explore également la photographie argentique, qu'elle met en lumière à travers ses éditions. Son attention aux matières et aux textures – papier, reliure, grain argentique – témoigne de l'importance qu'elle accorde tant aux objets qu'aux êtres. Fortement influencée par son expérience avec les bergèrxes, les éditions et tirages qu'elle présente offrent un regard sur le monde pastoral. Le soin qu'elle consacre à la reliure reflète son engagement envers les moutons, inscrivant ainsi les deux dans une démarche de minutieuse attention.
Dans une démarche mêlant approche documentaire et spéculative, Iris Schleinitz nous offre des visions de paysages, de métiers et d’environnements variés, où l’être se situe et se construit. Que ce soit dans un film sur le travail des ostréiculteurxices entre la Bretagne et l'étang de Thau (Pick up the Rich), ou dans une vidéo d’unboxing d’un colis contenant un tirage en porcelaine d’un moule de squelette de cactus désormais empêché de migration à cause du mur séparant le Mexique et les États-Unis — ce même colis que l’artiste a envoyé à la douane étatsunienne (Control Border Patrol - CBP) — Iris rend visibles des liens souvent invisibles d’une société de plus en plus éclatée.
Hyemin Kim examine cette société éclatée avec un regard aiguisé, oscillant entre humour et ironie pour détourner des situations et symboles du quotidien afin de critiquer les systèmes de pouvoir. Dans Les Contrôleurs, elle met en scène le contrôle des titres de transport dans un désert éloigné, transformant cette surveillance gouvernementale en une chorégraphie absurde. Cela révèle la vacuité d'un mécanisme de contrôle qui, loin de garantir la sécurité, semble dérisoire. Son approche incisive met en lumière les dysfonctionnements des autorités et suscite une réflexion sur notre rapport aux normes sociales et à la légitimité du pouvoir.
Dans l'univers de G. Nop Ming-Guang, les symboles de pouvoir – un drapeau – ou les gestes de l’intimidation – montrer ses dents (voir Anthropocene Care) – sont empruntés, laissant toujours une fine marge pour l’extrapolation. L'œuvre Proposition à Migrations : autoportrait en présidence en est la preuve. Dans ce dessin - produit pour un prix dont le sujet était « migrations » - l'artiste s'est présentée frontalement, en adaptant les codes des portraits présidentiels, pour aborder de front la notion de symbolisation. Et si le dessin a été présenté pour un prix ayant pour sujet « migrations », il devient ici une trace du geste performatif qui consiste à s'adresser à un jury de manière aussi frontale, sans aucune complaisance : « je n’ai rien à dire, je n’ai qu’à être ».