Kevin Desbouis : Fluffers

Interview

Fluffers

In extenso

4 February - 19 March

https://www.inextensoasso.com/fluffers-fr

FR

Katia Porro : Le salaire national moyen d'un·e fluffer aux États-Unis est de 53 954 dollars. Qu'est-ce qu'un·e fluffer ?

Kevin Desbouis : Un·e fluffer est une personne embauchée sur les plateaux de tournage de films pornos pour maintenir les acteurs·rices excité·e·s. Parfois, iels peuvent aussi être celleux qui nettoient les acteurs·rices.

K : Le·la fluffer est donc toujours dans les coulisses.

K : Dans le contexte de l'exposition, il s'agit de toute personne qui entre dans l'espace.

K : Quelqu'un·e m'a dit que le désir consiste à éprouver une limite. Comment savoir qu'une limite est une limite ? Quelle expérience serait la plus limite : le gagging (étouffement) ou dire je t’aime ?

K : Peut-être qu’il s'agit aussi de la distance que tu mets entre toi et le sujet ou l'objet. Mais il est vrai que parfois la confusion commence entre le sujet et l'objet et quelque chose se passe dans ce malentendu. D'une certaine manière, je considère le travail comme une sorte d'activité secrète parfois rendue visible. Je suppose que ça doit être obscène. Quelle était la dernière question ?

K : Selon toi, quelle expérience serait la plus limite : le gagging ou dire je t’aime ?

K : C’est drôle parce qu’en français, gag, gagging peut être traduit par “haut-le-coeur”, comme si ton cœur essayait soudainement de s’échapper de ton corps.

K : L'opacité ici peut être un peu difficile à avaler. Qui est ton public ?

K : Je ne sais pas... le public existe maintenant surtout sur Instagram, sur les plateformes. Tout le monde est sa propre plateforme désormais. En ce sens, tout le monde est un·e artiste et en même temps, tout le monde est dans le public, même malgré lui... je suppose que cet ensemble d'œuvres est une forme de réaction à cela.

K : Es-tu avec, pour ou contre le public ?

K : Un peu tout ça... ça dépend des jours, du contexte, si des attentes sont en jeu. Mais la plupart du temps on ne se rencontre pas, on ne parle pas. Je n'aime pas vraiment être dans les parages quand le travail est présenté. J'ai toujours cette vision du travail comme d'une baleine échouée que certaines personnes viendraient voir, quelque chose qui appartient à un autre endroit.

K : L'artiste/public est un dispositif de mise en scène continue du soi, et la consommation de cette dramaturgie. C'est assez narcissique, un narcissisme qui négocie avec diverses formes d'insécurité, de reconnaissance mutuelle et des états d'excitation plus ou moins permanents. Comment cela se joue-t-il ici ?

K : L'exposition présente un aspect participatif non explicite qui s'accompagne certainement d'une forme de perversité. Par exemple, le masque déposé dans l'isoloir peut être porté pour visiter l'exposition. Des choses peuvent se produire, et elles peuvent être momentanément excitantes, mais aussi rapidement décevantes. Je n’ai pas de contrôle sur ça. En ce sens, j'ai probablement été en partie inspiré par certains mécanismes des réseaux sociaux, même si je ne les utilise plus.

K : Et le “truc” au sol ?

K : C'était un outil, pour garder une bouche ouverte. (Note : Une bouche ouverte longtemps produit beaucoup d'eau. La bouche produit tellement qu'elle crée un étang dans lequel le sujet peut se regarder.)

K : « ...derrière le rideau, c'est notre reflet qui nous regarde. L'abîme est un miroir, le fantôme dans les objets est son designer, une histoire [...] notre auto-anthropologie. » * La vitrine est comme une couveuse mais à l'envers. Bonhomme de neige sous une lumière rougeoyante, fondu. « Personnellement, tu matérialises Noël depuis l’arrière d’une vitre électrifiée. »*

K : Noël est un moment où tout ce que l’on désire circule plus intensément et peut être transformé en cadeau ; les émotions y sont exacerbées et performées. C'est un réservoir infini d'œuvres d'art. L'autre jour, j'imaginais qu’un jour les gens chieront des choses si belles, des produits magnifiques, qu'ils pourront les utiliser immédiatement, comme des outils, ou des cadeaux. Un cadeau est une chose magnifique qui peut arriver à tout moment, comme une preuve d'amour. Mais la répétition de la preuve d'amour vient avec une certaine forme de masochisme et une éthique personnelle. Le bonhomme de neige fondu est une sorte de sculpture mentale, ou un kit.

K : Cela me fait penser à une tradition de Noël en Catalogne, celle d'une bûche qui défèque des cadeaux. Le Caga Tio. La tradition scatologique est alors aussi riche que l’échange de cadeaux. Cet amour dont tu parles est comme la réflexion de celle·lui qui offre sur celui.celle qui reçoit. Un amour déguisé, paré et prêt à être totalement accepté.

K : Je suis si content que tu n'aies rien demandé au sujet du petit chien rouge.

K : La prochaine fois.

« Fluffers » fait suite à l’exposition « temples, metal, honesty » présentée à Belsunce Projects (Marseille) en 2021. Le projet a reçu le soutien du Centre d’art contemporain - la Synagogue de Delme et de Triangle-Astérides.

*Contemporary Art Writing Daily, Anti-Ligature Rooms, Cabinet, Plea, 2020

EN

Katia Porro: The national average salary for a fluffer in the United States is $53,954. What is a fluffer?

Kevin Desbouis: A fluffer is a person hired on porn sets to keep the actors aroused. Sometimes they are also the ones who clean the actors.

K: The fluffer is always behind the scenes then.

K: In the context of the exhibition, it’s anybody that enters the space.

K: Someone told me desire is about finding an edge. How do we know an edge is an edge? Is it edgier to gag or to say I love you?

K: Maybe it’s also about the distance you put between yourself and the subject or the object. But it’s true that sometimes the confusion starts between the subject and the object and something happens in this misunderstanding. In a way, the work is a kind of secret activity that sometimes makes itself visible. I guess it has to be obscene. What was the last question?

K: Is it edgier to gag or to say I love you?

K: It’s funny because in French gag means ‘’haut-le-cœur’’, literally translated to high heart, as if your heart would suddenly try to escape from your body.

K: The opacity may be a bit hard to swallow. Who is your public?

K: I don’t know. The public now exists mostly on Instagram, on platforms. Everybody is their own platform now. In that sense, everybody is an artist and at the same time everybody is in the public, despite themselves… so I guess this body of work is a form of reaction to that.

K: Are you with, for, or against them?

K: All of the above… depending on the day, the context, if expectations are involved. But most of the time we don't meet, we don't talk. I don't really like to be around when the work is presented. I always have this image of the work like a stranded whale that some people would come to see, something that belongs to some other place.

K: The artist/public is a continuous staging of the self, and consumption of that staging. It’s rather narcissistic… a narcissism that negotiates with various forms of insecurity, mutual recognition, and states of excitement that are more or less persistent. How is that played out here?

K: The exhibition has a non-explicit participatory aspect that comes with a form of perversity. For instance, the mask displayed in the voting booth can be worn to visit the show. Things can happen, and they can be exciting momentarily, yet deceptive quickly. I can’t control that. In that sense, I was probably partially inspired by some mechanisms of social media, though I’m not using them anymore.

K: What’s that doodad on the floor?

K: It was a tool to keep a mouth open. (Note: A mouth opened for a long time waters a lot. A mouth waters so much it creates a pond in which the subject can stare at himself.)

K: “...behind the curtain is our reflection staring back. The abyss is a mirror, the ghost in the objects is its designer, a history [...] This is our auto-anthropology.” The storefront is like an incubator but in reverse. Snowman under glow light, melted. “You personally manifest Christmas from behind electrified glass.”

K: Christmas is a moment when everything you desire circulates more intensely and can be transformed into a gift; a moment when your emotions are enhanced and performed. It’s an infinite reservoir for artworks. The other day I imagined that people will one day shit things so beautiful, like beautiful products, that they would use them immediately, as tools, or gifts. A gift is a beautiful thing that can come at any moment, like a proof of love. But the repetition of the proof of love comes with a certain form of masochism and a personal ethics. The snowman melted is a kind of mental sculpture, or a kit.

K: That makes me think of a Christmas tradition in Catalonia of a log that defecates gifts. The Caga Tio. Scatological traditions are thus as rich as giftgiving. This love you mention is a kind of reflection of the giver, but in disguise. All dressed up and ready to be received.

K: So glad you didn’t ask about the little red dog.

K: Next time.

"Fluffers" is the second chapter of the exhibition "temples, metal, honesty" presented at Belsunce Projects (Marseille) in November 2021. The project was made possible with support from the Centre d’art contemporain - la Synagogue de Delme and Triangle-Astérides.

*Contemporary Art Writing Daily, Anti-Ligature Rooms, Cabinet, Plea, 2020